5 janv. 2012

CLOVIS TROUILLE (1889 - 1975) - La Peinture En Révolte

Drôle de blase pour un zigue pas ordinaire dans son domaine de prédilection : La peinture. Une peinture érotique, subversive et iconoclaste. Ce n'est pas un pseudo, Clovis s’appelait bien Trouille, et vice versa. Né dans l'Aisne en 1889, Clovis Trouille fréquente l'école des Beaux-Arts d'Amiens de 1905 à 1910, et devient peintre illustrateur. Travaillant  pour des journaux régionaux, il se fait d'abord remarquer en 1907 par une toile impressionniste intitulée " Paysage au vieux mur ", puis la même année par une autre toile" Palais des Merveilles" qui illustre une fête foraine où il présente des femmes aux déshabillés suggestifs, qui marque à partir de là son goût pour la provocation et l'érotisme. C’est la guerre de 14-18 qui va faire de ce diplômé des Beaux-Arts d’Amiens un "révolté, un anarchiste" qui n’aura de cesse de dénoncer dans sa peinture "le système de collusion entre l’Armée, l’Église et l'État". Et, en toute rigueur, pour ne pas lui-même être amené à transiger avec le système – en l’occurrence le marché de l’art – pour pouvoir vivre de sa peinture, Clovis Trouille a exercé toute sa vie un métier qui lui a permis de conserver son indépendance. Un métier peu banal : peintre de mannequins de vitrines. Cela consistait « à peindre des carnations, rehausser des maquillages, dessiner des arcades sourcilières, des grains de beauté, des pointes de sein …

Un métier qui lui procurait beaucoup de plaisir et lui a permis à la fois de vivre son érotisme au quotidien et d’exprimer le souci d’extrême précision qu’on retrouve dans sa peinture.
Lors d'une exposition à laquelle il participe en 1930, il est remarqué par les surréalistes tels André Breton, Dali et Aragon, pour une toile intitulée " Remembrance" : Une toile emblématique qui met en scène un cardinal dont le manteau pourpre s’ouvre sur des jambes de femme avec porte-jarretelles et bas noirs tandis qu’un académicien reçoit en pleine figure le pet d’un animal. Au premier plan du tableau, des squelettes de soldats en uniforme serrent dans leurs bras un lapin au pied d’une croix de bois portant comme seule inscription 1914-1918, la sale guerre où ils se sont fait tirer "comme des lapins". Et c’est au prix de furieuses contorsions que la République détourne de sa vue la pluie de médailles qu’elle déverse du ciel… Le tout dans des couleurs vives – comme la plupart des tableaux de Clovis Trouille – avec des contours précis et un grand soin dans le rendu des matières. L’artiste dit lui-même de cette œuvre qu’elle est "un exutoire personnel provenant du traumatisme de la guerre de 14-18". Une guerre après laquelle, dit-il, "je n’ai pu peindre comme au temps où j’étais un grand peintre". Celui qui se définit comme un "peintre du dimanche" reste pourtant un "Grand peintre" par la composition et la facture de ses tableaux.

L’humour aussi est souvent présent dans son œuvre, comme lorsqu’il met en scène ses propres funérailles (Mes funérailles), avec des titres-calembours, comme Oh Calcutta ! Calcutta ! (dont s’inspireront en 1969 les auteurs d’une comédie musicale à Broadway). Ses tableaux se nourrissent aussi de références à la littérature  (Le Bateau ivre) ou à la peinture classique, par exemple Le rêve d’Alice qui renvoie à l’embarquement pour Cythère de Watteau. Car Clovis Trouille « était un homme très cultivé, sa passion était les livres et la poésie. Et quand il venait à l’Isle Adam – c’était toujours un événement – on parlait davantage poésie que peinture », se souvient son petit-fils, Henri Lambert.
Bien que signataire de tracts surréalistes en 1948, 1949 et 1951, Clovis Trouille n'a participé que de manière périodique à l'activité du groupe. C'est à Salvador Dali qu'il doit son goût pour une technique picturale soignée, proche de l'exactitude photographique, mais dans le style particulièrement anticonformiste qui est le sien. Sensible aux ornements, aux costumes religieux, à la pompe des cérémonies, il trouve dans cette solennité, sous son air tranquille, matière à exprimer ses conceptions anticléricales, antimorales et antisociales : ces robes, ces costumes, ces déguisements, offrent pour lui un charme trouble, équivoque, et subversif, et l'envie de dévoiler tout ce qui se cache dessous ou derrière. Il s'interrogeait : "J'ai toujours été contre l'imposture des religions. Est-ce en peignant la cathédrale d'Amiens que j'ai pris conscience de tout ce music-hall ?"
André Breton qui voit en lui « le grand maître du tout est permis » et lui proposera de faire une exposition de ses œuvres dans sa galerie. Clovis Trouille refuse, par crainte d’être irrémédiablement sous une étiquette et ce n’est qu’en 1962 qu’il fera sa première exposition personnelle...

La voyeuse 1960
Le confessionnal
Mon tombeau
Religieuse italienne fumant la cigarette 1944
Une jeune femme italienne, Ornella Volta, publie chez Jean-Jacques Pauvert un ouvrage consacré aux vampires. Elle connaît l’œuvre du peintre, car elle est proche des surréalistes, et elle lui demande si elle peut reproduire certaines de ses œuvres pour illustrer son ouvrage. Sous le charme, il accepte et pour la soirée de lancement de l’ouvrage elle lui propose d’organiser une première rétrospective. Elle trouve un lieu dans le 6ème arrondissement de Paris, ‘La lanterne magique’, une boutique de brocanteur spécialisée dans les objets bizarres, les objets de cirque. Et c’est au milieu de ce fatras d’objets forains qu’elle installe une douzaine de  toiles de Clovis Trouille que le tout Paris intellectuel et artistique s‘empresse de venir voir. Des toiles exposées au milieu de dizaines de chauve-souris en papier de soie gris ou noir, découpées par leur auteur…
Les dessous féminins, les prêtres érotiques, les nonnes cloîtrées laissant parler leurs corps, qu'il représente comme dans " Rêve Claustral ", témoignent sans aucun doute de son anticonformisme, mais aussi de la pure expression de la réalité naturelle des hommes et des femmes, à la recherche de leur jouissance de la vie.
Clovis Trouille aborde sous différentes formes ses thèmes favoris que sont l'érotisme, la mort, la religion, la patrie, dans une recherche iconoclaste et parodique, et une critique parfois violente de la société.
Sa peinture magnifiquement libre, exaltant la couleur et la liberté des moeurs, fait de lui un peintre totalement à part dans la mouvance surréaliste.
Revendiquant ses influences de la Renaissance, Clovis Trouille disait qu'il n'y avait pas eu de grands peintres entre Léonard de Vinci et lui, que Max Ernst et Miro n'étaient que des "barbouilleurs".
Il resta peu connu car il n'a jamais recherché les honneurs ou la gloire. N'ayant presque jamais participé à aucune exposition autres qu'à quelques unes du Salon des Indépendants, il peignait pendant ses loisirs des toiles où les thèmes de l'anticléricalisme et de l'antimilitarisme revenaient en permanence.
Il se disait avoir été très traumatisé par la Première Guerre mondiale, et manifesta à toute occasion son antimilitarisme, et son attachement depuis toujours aux idées anarchistes, ce jusqu'à sa mort en septembre 1975 à Neuilly-sur-Marne.
En solitaire inclassable qui préférait accumuler les scandales que sacrifier son art aux contingences d'une époque ou d'une école, il s'éloigna également des surréalistes en raison de leur mépris pour les maîtres anciens, tandis qu'il revendiquait l'héritage des grands peintres de la Renaissance, jadis étudiés et copiés au musée de Picardie.
Certains voient à présent en lui un précurseur du Pop Art par son utilisation quasi systématique de la photographie et des collages comme support de travail.
Au-delà de l'audace de ses sujets, l'œuvre subversive de Clovis Trouille a réussi à s'imposer par sa fantaisie, sa puissance onirique et son chromatisme exceptionnel.
Mais au fait, ce peintre subversif, voyeur, voyou et admirateur de Sade, dans la vie, il était comment ? "Quelqu’un de tout à fait charmant, qui se tenait très bien et plutôt un dandy. Il aimait bien les calembours, mais pas trop la vulgarité", répond le petit-fils, Henri Lambert. Son souhait ? Créer une fondation, adossée à un mécène ou un musée. C’est dans cette perspective qu’il œuvre pour une meilleure reconnaissance de Clovis Trouille et de sa place dans l’histoire de la peinture.
Clovis Trouille détestait se séparer de ses toiles. Son plus grand collectionneur, celui qui parle le mieux de lui aussi, est Daniel Filipacchi. éditeur et patron de presse, raconte dans Beaux-Arts magazine, que pour obtenir le droit d’avoir quelques toiles du maître, il fallait accepter de les lui rendre, régulièrement… "Clovis Trouille ne voulait rien vendre. Je lui ai proposé de faire un livre sur lui. Nous sommes devenus amis et il m’a cédé une toile représentant des bonnes sœurs s’embrassant. Un peu plus tard, il m’appelle et me demande de lui rapporter la toile… J’étais un peu inquiet pensant qu’il cherchait à la récupérer. Il m’a simplement dit qu’il voulait la garder quelques jours et quand il me l’a restituée, il avait ajouté quelque chose: la bonne sœur dans le trou, captivée par la scène du baiser entre deux nonnes. Un an plus tard, il me demande de revenir encore une fois avec le tableau. Et encore une fois il le garde pendant plusieurs jours. Quand il me le rend, il a ajouté deux petits livres de messe tombés sur le sol. Une troisième fois, Clovis Trouille me fait savoir qu’il voudrait encore ajouter un petit détail à son œuvre "inachevée". Cette fois, il garde la toile assez longtemps et quand il me la rend, je n’ai pas tout de suite remarqué ce "petit détail" : un grain de beauté sur la cuisse dénudée de la bonne sœur."







Quelques citations de Clovis Trouille
"Je suis pour l’art noir, pour le caractère Maudit. Je rejette la morale de la société bourgeoise, l’imposture de la religion, la morale de ses curés, son patriocularisme, je désire au contraire une société sans frontière."

Le rêve d'Alice

"J'ai toujours été contre l'imposture des religions. Est-ce en peignant la cathédrale d'Amiens que j'ai pris conscience de tout ce music-hall ?"

"Il est vrai que je n'ai jamais travaillé en vue d'obtenir un grand prix à une biennale de Venise quelconque, mais bien plutôt pour mériter dix ans de prison et c'est ce qui me paraît le plus intéressant"
 
Le poète rouge
"La peinture exalte la couleur et l'érotisme , pourfend le sabre et le goupillon ..."

"L’on peut être certains que je le suis, érotique, et que je l’ai toujours été. Mais il me semble qu’un artiste qui ne sent pas la femme ne peut être un bon artiste. Mon œuvre est un chant d’amour à la femme, qui m’a tant manquée dans ma jeunesse (refoulement)."

A la cathédrale d'eau du Zambreze

"D’autre part, je tiens à ce côté subversif de mes œuvres, qui à mon avis fait que les peintures de cette sorte vieillissent bien. Car vous savez que le temps, la patine du temps n’adoucissent que trop la peinture.
On reste stupéfait devant l’Olympia de Manet, de penser que l’on a dû faire protéger ce tableau par la police, les visiteurs voulant le lacérer. Ce tableau, avait donc, alors, une puissance mystérieuse de "jamais vu", qui déchainait la colère. Je m’habitue à mes tableaux en les voyant vieillir et il me semble que c’est le piquant du subversif qui les sauvera de la patine du temps et de la banalité coutumière." (1959)

Remembrance 1930

"Il faut comme le génial Douanier Rousseau, ne peindre éventuellement que le dimanche, mais que ce dimanche soit une lumière pour la peinture !"

Faites-moi cygne
La grasse matinée
Bikini
Les seins flotteurs
Bite en fleur
Chez la princesse et le tzigane
L'heure du sortilège
La profanation & la belle torchie
La rue des enfants trouvés
La rue des enfants trouvés 2
Le bateau ivre
Le magicien
Le présent des gaules
Le rêve d'Alice 2
Le salon
Mes funérailles
Mes funérailles

Souvenir sans suite
Stigma Diaboli
Takouba








Cérémonial saphique - Exposition organisée par Ornella Volta à la Lanterne Magique le 9 novembre 1962
Dolmancé et ses fantômes de luxure
Croquis original


 
Dialogue au carmel







La costaude de la bastoche
Palais des merveilles (détail)
La joueuse de Tarentelle
Le baiser du confesseur
Le jeune hortillon
Le grand poème d'Amiens
Promise
Rêve claustral
Confession
Sous le culte des sorcières en flirt






Sources
http://www.clovistrouille.net/
http://m_debray.perso.neuf.fr/TROUILLE%20RUSKIN/index.html
http://www.rfi.fr/contenu/20091207-autour-clovis-trouille-une-exposition-isle-adam
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2009/12/de-clovis-trouille-on-connait-les-%C3%A9v%C3%A8ques-en-porte-jarretelle-et-les-femmes-fatales-qui-t%C3%A9l%C3%A9phonent-dans-des-cimeti%C3%A8res-1.html
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2008/06/le-vice-qui-fou.html
http://larevenchedelaquiche.vraiforum.com/t2737-Clovis-Trouille.htm
http://edencash.forumactif.org/t420-l-explosition-en-marge-de-clovis


Plus d'info. ici








8 commentaires:

  1. L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle. Jean Dubuffet. 1960

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  2. http://www.franceinter.fr/emission-addictions-exposition-hey-reportage

    ;-O

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  3. http://www.franceculture.fr/emission-mauvais-genres-hey-modern-art-et-pop-culture-2011-09-17.html#.TnWtLhWMTpE.facebook

    O-;

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  4. Bonjour,

    Merci pour cet article bien rédigé et documenté sur un grand artiste peintre méconnu : Clovis Trouille ! Je m'occupe d'un annuaire de blogs (en url) et j'aurais aimé avoir ton blog qui me plait beaucoup dans celui-ci ! je ne n'impose rien en retour ;)

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  5. Bonsoir Frédéric et bienvenue sur ce blog !

    Merci pour ton commentaire. Je ne vois apriori aucun problème à figurer dans ton annuaire, j'aimerais pouvoir le consulter quand même et avoir la possibilité de ne plus y figurer pour une raison quelconque.
    Je pense que tu me comprendras.

    Cordialement,
    @+

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    1. Merci eJo. !

      Il est ici : http://www.portail-blog.com

      Je respecte le choix des gens, pas de probléme !

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    2. SEO de qualité, semble-t-il.
      Ok, Frédéric on continue comme ça.
      Je bookmark et je visiterai + régulièrement !

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  6. Bonjour eJo.,

    Merci, pour ta remarque positive ! c'est rare ;)

    Je viens d'inscrire ton blog, c'est ok ? si tu as par hasard ;) un FB, Twitter, je mets des liens vers ceux-ci sans probléme sur ta fiche !

    A bientot.

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